« J’ai joué contre le PSG ! »
Ludovic Giuly, Rémi Laâsri et Sylvain Armand au stade Gabriel-Montpied (Photo Francis Campagnoni)
Le 4 Janvier 2009, l’EDS Montluçon affrontait le PSG de Giuly, Rothen et Makélélé, en 32ème de finale de la Coupe de France, devant près de 10 000 personnes au stade Gabriel-Montpied de Clermont-Ferrand.
Je vous propose une introspection sous 3 angles : En tant que narrateur, joueur et préparateur mental.
Rémi Laâsri
Narrateur : En plus d’être un très bon exercice de restructuration cognitive, cet article a pour objectif de décrire les coulisses, sous des angles différents, d’un match en apparence très alléchant pour un sportif amateur.
Rémi 22 : Je m’appelle Rémi Laâsri, j’ai 22 ans, j’entame ma 3ème année à l’EDS Montluçon en CFA (équivalent Nationale 2).
Rémi PM : Je m’appelle Rémi Laâsri, j’ai 35 ans, je suis devenu préparateur mental.
Plan de l’article :
L’entrée des Ligue 1
Quelques semaines plus tôt, l’EDS Montluçon se qualifiait à la suite d’un match tendu jusqu’à la dernière seconde, 1 à 0 face à Luçon.
Le dernier tour avant l’entrée des Ligue 1 est très disputé. L’opportunité de se frotter à un club professionnel est souvent rêvée. Surtout les clubs prestigieux, qui ont marqué notre enfance et l’histoire du football français voire européen.
Profiter d’être sous le feu des projecteurs le temps d’un match, prendre une revanche envers le monde professionnel. Chacun sa motivation et ses raisons, ça n’arrive pas tous les ans et encore moins à tout le monde. Quand on est amateur, c’est généralement un grand moment.
Rémi 22 : J’ai joué tout le match, on a gagné, on a tenu. C’était un bon niveau. Grosse satisfaction après cette qualification pour les 32ème de finale. Surtout sur le plan personnel. Je veux absolument m’imposer dans cette équipe, à ce niveau. J’ai besoin de me prouver plein de choses dans le foot. En réfléchissant bien, j’ai toujours eu beaucoup de qualités voire des facilités, mais jamais je ne me suis imposé nul part. Je n’ai pas la confiance du coach, enfin, il ne me la montre pas. J’ai besoin qu’on me dise que je suis important, que je ne suis pas qu’une doublure qui joue quand le groupe n’est pas au complet.
Rémi PM : Super match, de bon niveau. Au lieu de savourer, j’avais toujours des questions, des doutes, des peurs qui me hantaient. J’avais bien joué, on avait gagné. Sur les 13 premiers matchs de championnat, je suis 10 fois titulaire et 3 entrées en jeu. J’ignore qui de moi ou du coach me sentait le plus légitime, mais j’aurais dû me concentrer sur mes performances, m’investir avec régularité, me fixer des objectifs précis. Au lieu de ça, j’avançais avec mes frustrations du passé que je traînais comme des boulets.
Le tirage
La saison précédente, le FC Nantes avait éliminé l’EDS Montluçon à ce stade de la compétition. Sous des trombes d’eau, plus de 4000 personnes avaient envahi « le Dunlop ».
Rémi 22 : J’avais vécu un cauchemar. Contre mon ancien coach Michel Der Zakarian, et un ancien proche coéquipier du CREPS et de l’équipe d’Auvergne Kévin Das Neves. J’étais 19ème, un joueur était incertain. C’est après l’échauffement qu’on me confirme que je regarderai le match des tribunes. Mes protège tibias ont claqué fort sur le sol des vestiaires et je suis parti regarder le match en espérant voir mon équipe perdre.
EDSM 0 – 3 FC Nantes.
Rémi PM : Cette situation mal gérée va fortement influencer mon comportement futur. Elle ressurgira un an plus tard et aura un impact important sur la fin de ma modeste carrière.
La venue du PSG a réveillé des mauvais souvenirs.
Rémi 22 : On m’annonce qu’on prend le PSG en 32ème . Réaction mitigée. Dans mon corps j’ai envie de pleurer, de sauter de joie en vivant le truc à fond ! Mais STOP ! Si je m’emballe et que je ne joue pas, la déception serait trop forte. J’essaie alors de me contenir. Puis finalement, c’est toujours cette réserve qui prend le dessus. Je n’arrive plus à savourer aucun moment. L’angoisse et la peur. Jamais je ne vis l’instant présent. Plus rien ne sort. Une épaisse carapace décorée d’un sourire. « Si jamais je ne joue pas, si jamais je ne suis pas dans le groupe… J’ai joué tous les matchs, on n’a jamais été aussi bien classé… Mais je sais qu’il ne me mettra pas… « . Une torture permanente.
Rémi PM : J’ai oublié ce moment, j’ignorais sûrement la date du tirage. Je tentais de me détacher du foot depuis quelques années. La peur de souffrir encore ? La difficulté d’admettre que le foot fait partie de moi, que je suis triste d’avoir échoué à Montpellier puis à Clermont ? Peur de ne pas pouvoir m’en remettre cette fois ? En considérant que je me suis remis de la première. Un passé refoulé, un présent douloureux. Discours interne négatif. Scénario catastrophe en boucle dans ma tête. J’aurais aimé être mon préparateur mental.
Le feu des projecteurs
Forcément, la nouvelle se répand vite, les projecteurs s’allument, c’est parti.
Rémi 22 : Le feu des projecteurs je le vis bien. J’aime être le centre d’intérêt, qu’on me donne de l’importance. Le problème, c’est pour répondre aux questions. Je ne sais pas si je dois, et si je peux, parler comme un joueur titulaire.
Rémi PM : Effectivement, j’étais en permanence à la poursuite de la reconnaissance qui, selon moi, m’était due. Tous ces sacrifices pour échouer si proche de son rêve. Quelle frustration. Comment combler tout ça ? En réalité, j’avais abandonné beaucoup trop tôt. Je n’avais pas assez travaillé. Un autre cursus m’aurait peut-être été plus favorable ? Parti trop tôt du cocon familial? Peut-être. Ce qui est sûr, j’avais été en-dessous de ce dont j’étais capable. Je peux trouver des circonstances atténuantes, mais rien n’y changerait. Je dois profiter positivement de ces leçons pour me satisfaire.
Rémi 22 : Finalement c’est à l’entraînement que je me sens le mieux. Beaucoup de jeu, du foot, que j’aime encore secrètement. Il n’y a ni titulaire ni remplaçant à l’entraînement. Je touche la balle, je m’éclate. C’est seulement en fin de semaine que j’appréhende les choix du coach.
Rémi PM : J’étais ce qu’on appelle un joueur d’entraînement. Une frappe du gauche énorme, une qualité de centre au-dessus de la moyenne, mais aucune passe décisive en match. Des conservations de qualités avec une technique plutôt pas mal, mais la moindre titularisation dans l’axe me ferait rater mes contrôles. On est pas mal dans le couloir finalement hein ?
Rémi 22 : Oui, je me sens bien couloir gauche, mon poste de formation (3-5-2). Mais j’ai la tête pleine, je n’arrive plus à voir avant, je me mets une pression que je ne supporte pas. Mes choix sont mauvais, je n’atteins pas mon « vrai » niveau. Bref, on a reçu les ballons de la coupe pour s’habituer aux trajectoires, c’est dingue la différence avec les nôtres. On va aller se régaler un peu, faire des heures supplémentaires jeudi comme il n’y a pas entraînement … .
L’annonce du groupe
Premier de l’an très soft deux jours avant l’annonce du groupe. Beaucoup de billets vendus, le match en direct sur Eurosport.
Rémi 22 : Toute ma famille et mes amis seront présents, environ 80 juste pour ma pomme. Logiquement, le plus beau jour de ma vie se profile. Mais à aucun moment je ne m’imagine titulaire, bien jouer et nous qualifier. Je subis la situation comme jamais.
Rémi PM : C’est seulement maintenant que je me repasse le film en modifiant certaines données pour revivre ce moment magique. Pour ne plus regretter. À l’annonce du groupe, je devais être liquide. Je ne me souviens d’aucune seconde de tous ces moments. J’ignore complètement tout de l’instant où le coach à prononcé mon nom.
Rémi 22 : Il m’a pris. Je pense forcément aux blessés et suspendus absents. Je pense toujours à John (Jonathan Perot), mon pote qui méritait 1000 fois d’être là. J’ai l’impression d’avoir usurpé ma place. Mais pour rien au monde je ne l’échangerai. Maintenant, deux nouvelles belles angoisses s’offrent à moi :
- Il vient me dire qu’il y a une erreur et finalement je ne suis pas dans le groupe.
- Il ne me fait pas rentrer en jeu, et dans ce cas, je ne pourrai jamais affirmer que « J’ai joué contre le PSG. »
Rémi PM : Oui, j’ai effectivement une pensée pour les absents. J’ai eu beaucoup de chance d’y être. C’est dingue l’incapacité de savourer. J’étais tellement déstabilisé quand tout allait bien. La confiance en avait pris un sacré coup.
Jour de match
Le groupe se retrouve pour vivre ensemble jusqu’au match. C’est le grand jour.
Rémi 22 : J’ai peur de ne pas jouer, mais j’ai peur de jouer. On essaie de profiter tous ensemble avant d’aller au stade. On vit le moment tous différemment. Moi il faut que je rigole pour évacuer le stress. Je ne redoute plus qu’une seule chose, c’est de ne pas jouer.
Rémi PM : Je me souviens parfaitement de la séance vidéo, où nous avons notamment parlé de la tour de contrôle Guillaume Hoarau. Je ne pensais qu’à une chose, rentrer en jeu. Le problème, c’est la raison pour laquelle je souhaitais entrer sur le terrain. Je voulais pouvoir dire que j’avais joué contre le PSG, plutôt que d’apporter à mon équipe.
L’échauffement
L’entrée sur le terrain fut un moment mémorable pour les joueurs. Contrairement aux professionnels, c’est un moment unique pour un joueur amateur.
Rémi PM : L’entrée dans ce volcan fut un moment incroyable. Indescriptible, qui me donne encore des frissons aujourd’hui. Cette ferveur unique et magique qui pénètre ton corps pour te transporter. J’aimerais revivre un jour cette sensation. J’aimerais que tout le monde ait cette chance. Je tiens à remercier toutes les personnes présentes au stade ce jour. Même les sifflets s’accordaient parfaitement avec cette force populaire monumentale.
Rémi 22 : Mes jambes tremblent, je suis incapable de supporter ces émotions hors du commun. Comme si d’un coup, toutes mes émotions refoulées depuis plus de 3 ans refaisaient surface. Heureusement que je ne joue pas, j’aurais été ridicule.
Rémi PM : Je m’en souviens très bien, épuisé par les émotions. Impossible de jouer. D’où l’intérêt de les accueillir quand elles se présentent, sinon elles nous rattrapent un jour. Difficile dans ce cas de maîtriser la situation. Ce souvenir me fait sourire. J’étais submergé, dépassé. Sûrement sur un nuage mais en aucun cas sur le terrain.
Coup d’envoi
Regard dans le vide. Haine, colère, peur, joie, déception. Le négatif prend le dessus.
Rémi PM : Sans me soucier de savoir si j’allais être prêt, je ne pensais qu’à rentrer. Il est important de se fixer un objectif pour les bonnes raisons et se préparer pour l’atteindre. Tout était bâclé ici. Aurais-je été la révélation grâce à un coup de folie ? Ai-je été protégé de l’humiliation par mon coach ? que dois-je retenir de cette expérience ?
Le banc
Rémi 22 : C’est du banc que j’ai pu assister à la rencontre. Ce soir là, j’ai définitivement décidé d’arrêter le foot, ou du moins, de ne plus m’investir.
Rémi PM : J’avais simplement décidé d’arrêter de souffrir à cause du foot. Mon cerveau a littéralement occulté le match de ma mémoire. Aucun souvenir.
Rémi 22 : La raison pour laquelle le coach ne m’avait pas fait jouer était la suivante : « Tu es jeune, les anciens eux, ne vivront plus jamais ça. ». Quel connard ! J’aurais préféré parler de football.
Baidy Sall et Jason Berthomier en 2ème et 3ème position sur le banc, donneront raison à Nicolas Lebellec dans la suite de leur carrière. Baidy jouera jusqu’en Nationale avec le Red Star et Le Puy, Jason joue depuis 2021 en Ligue 1 (une montée historique avec le Clermont Foot 63) après plusieurs années en ligue 2 et a connu une magnifique épopée avec l’AS Moulins en éliminant 2 clubs de ligue 1.
Rémi PM : J’avais déjà l’impression d’avoir trop donné au football. En comparant nos parcours, nous pouvons constater que des routes très différentes peuvent se rejoindre. Et d’un même point, d’autres s’ouvrent à nous. Un accompagnement mental m’aurait permis de gérer différemment cette situation. Pour suivre une autre route ou transformer mon chemin en une autoroute. Plus fluide, moins chaotique, plus écologique.
Je doute qu’il y ait une recette miracle, nous sommes tous différents. Le bon cursus est celui dans lequel vous et vos proches êtes épanouis. Accordez de l’importance à l’aspect mental. Il peut être déterminant.
À l’issue du match, j’ai donné mes deux maillots comme pour effacer le moindre souvenir. J’ai fini la saison, et j’ai signé à l’AS Yzeure où je ne suis entré que 3 fois en jeu. Ce furent mes dernières minutes au niveau national, ce furent aussi les dernières minutes de l’EDSM. Le club a coulé et moi, j’ai trouvé du travail.
Le plus important est d’en tirer des leçons pour progresser. Comprendre plus tôt pour modifier, utiliser plutôt que ressasser.
Les vrais beaux et bons moments ne sont-t-ils pas ceux que l’on peut apprécier? Est-il possible de vivre moins intensément tout en étant plus véritable?
Résumé EDS Montluçon 0 – 1 PSG
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4 réponses
Merci pour ce partage d’expérience Rémi.
On voit bien l’influence des émotions et des représentations mentales sur nos performances !
Merci Raphaël pour ton commentaire, très fière que mon article te plaise.
Super vision de ta carrière, bon positionnement des lacunes mentales de l époque , avec toutes ces expériences je pense que tu peux apporter énormément au futur joueurs , le travail mental, un préparateur mental est l atout pour gagner en force sur des émotions non contrôlées,bravo pour ce récit et bonne continuation.
Merci beaucoup pour le commentaire, et surtout pour les compliments. À bientôt ! 🙂